Municipales (2) : vers une tarification incitative ?

 

Bonjour à tous,

Comme annoncé dans notre précédent article, l’association revient à nouveau vers vous dans le cadre des prochaines municipales avec ce second article portant cette fois-ci sur le projet de l’actuelle maire sortante de la ville de Nouméa qui semble-t-il envisagerait de mettre en place sur sa commune pour la prochaine mandature une « tarification incitative » au niveau des déchets.

Qu’est ce qu’une tarification incitative nous demanderez-vous ? C’est une nouvelle façon de financer l’élimination des déchets en incitant les citoyens à les réduire et à les trier d’avantage en contrepartie d’une facture moins élevée.

Si ce concept paraît attrayant, il s’agit en réalité d’une fausse bonne idée comme le démontre les rapports et études en la matière dont nous vous fournissons les tenants ci-dessous.

En effet comme le démontre un rapport du Sénat datant de 2010[1], la tarification incitative ne s’accompagne pas nécessairement d’une baisse des coûts pour les collectivités et donc pour l’usager, voire peut susciter leur augmentation. L’évolution globale des dépenses […] avant et après la tarification incitative sur les collectivités étudiées s’échelonne même par une hausse de + 3 % à + 18 %.

L’ADEME précise même dans un guide éditée pour les collectivités en 2014[2] que dire que la tarification incitative permet de payer moins n’est pas forcément vrai pour tous les usagers.

Elle rajoute que  la tarification incitative ne permet pas de payer moins cher, mais de maîtriser les coûts et que certains paieront un peu plus cher.

Pourquoi les coûts risque-t-ils en effet d’augmenter ? La réponse est simple. Contrairement à ce qui est annoncé, la tarification incitative ne permet pas de réduire le volume des déchets mais seulement comme l’explique le Sénat de réorienter les flux de déchets du domicile de l’usager vers les déchèteries. En effet, l’usager désireux de voir sa facture baisser tentera de réduire au maximum les déchets déposés dans sa poubelle pour les emmener à la déchèterie où ceux-ci sont repris gratuitement. Le problème est que la collectivité ne fait dès lors aucune économie sur le traitement des dits déchets puisque retrouvant le même volume non plus directement chez l’habitant mais dans les déchèteries. Le Sénat rappelant dans son rapport que l’on observe : une hausse des tonnages collectés en déchèteries ; une hausse des tonnages collectés sur les points d’apport volontaire, confirmant bien les propos de l’association tendant à dire que certaines collectivités souhaiterait réduire le service de collecte en porte à porte pour plus d’apport volontaire, transférant à l’administré le soin de transporter ses déchets lui-même.

Si la tarification incitative ne permet pas de réduire les volumes de déchets, elle s’accompagne dans la majorité des cas d’une baisse de service avec une réduction des collectes en porte à porte auprès de l’usager. La collectivité pensant là encore faire des économies de fonctionnement (carburant, main d’œuvre, maintenance, …). En réalité, là encore les coûts s’avèrent non réduits mais transférés avec le redéploiement des effectifs et des véhicules vers les déchèteries et autres points d’apports volontaires au vu des hausses de volumes constatées au niveau des PAV et QAV.

A cela s’ajoute-le fait que si les volumes de déchets des bacs individuels baissent au profit des déchèteries, il convient pour la collectivité d’honorer néanmoins son engagement auprès des usagers, à savoir diminuer leurs factures. La collectivité se retrouvant ainsi avec de nouvelles dépenses, finançant le comportement vertueux de ses administrés avec néanmoins un volume de déchets identiques et donc des coûts de traitement similaires.

Par ailleurs, si la collectivité décide de choisir l’option visant à peser les bacs des administrés lors de la collecte à domicile pour constater ou non la baisse de volume de déchets, s’ajoute des dépenses informatiques supplémentaires. En effet, comme le rappelle le Sénat, la tarification au poids nécessite un coûteux système de pesée embarquée.

Autre élément soulevé par le Sénat concernant la tarification incitative est que celle-ci est composée d’une part fixe et d’une part variable. La part fixe étant les charges incompressibles de la collectivité (main d’œuvre, maintenance du matériel, …). La part variable étant le pourcentage de réduction de la facture accordée aux usagers en récompense de leurs efforts.

La problématique étant que la part fixe se situe selon certains opérateurs entre 75 et 80%. Ainsi, l’usager peut espérer au mieux une réduction de 20% de sa facture. Sur la ville de Nouméa, cela permettrait une économie à l’année de l’ordre de 6 600 fcfp ramenant la facture à l’année aux alentours de 26 000 fcfp. Il conviendra dès lors à chaque administré de s’interroger quant aux bénéfices réels de cette tarification incitative une fois déduit les frais de transports vers les déchèteries ou PAV, les contenants spécifiques à acheter pour chaque matière recyclables (bacs ou poches) voir l’achat d’un composteur individuel pour les matières organiques fermentescibles. Cet aspect technique de part fixe est d’autant plus important à comprendre, qu’un nouméen qui viendrait à réduire sa production de déchets de 90% aurait tout de même cette part fixe à payer démontrant ainsi les limites de la tarification dite incitative.

Autre point noté par l’ADEME et le Sénat est celui de l’habitant collectif. En effet, selon le sénat la tarification incitative peut s’avérer singulièrement complexe à mettre en place en habitat collectif. Pour l’ADEME, la tarification incitative est un dispositif moins lisible en habitat collectif. En immeuble, les bacs sont collectifs. Les habitants ont plus de mal à adopter les bons gestes, surtout quand le voisin ne fait aucun effort. Par ailleurs, le gestionnaire reçoit la facture et la répercute dans les charges : difficile de savoir si l’on paie en fonction de ce que l’on jette ! Il convient de rappeler ici que près de la moitié de la population nouméenne vit en habitat collectif.

Autre information relevée par le Sénat est les erreurs de tri des usagers. Ainsi, lors de la mise en place de la tarification incitative, on constate souvent une augmentation des refus de tri. Cela implique une hausse des dépenses de la collectivité car si les matières recyclables peuvent amener des recettes au travers de leurs ventes, les refus de tri envoyés à l’enfouissement occasionnent quant à eux des dépenses.

Dernier élément soulevé par le sénat étant les incivilités. La tarification incitative pouvant en effet entraîner des comportements inciviques comme les dépôts et brûlages sauvages, le « tourisme » des déchets (poubelle du voisin), ou le « sur-tri », qui consiste à jeter dans les bacs recyclables non taxés des produits qui n’y sont pas admis, diminuant ainsi la performance globale de tri de la collectivité. Selon l’ADEME, les collectivités qui sont passées à la tarification incitative constatent une augmentation des dépôts sauvages dans les premiers mois de mise en œuvre.

L’ensemble de ces informations amenant donc l’association à s’interroger une fois de plus sur l’efficacité d’une telle mesure faisant l’objet d’autant de points noirs depuis plus de 10 ans.

L’association tient également à rappeler qu’en 2019, selon l’ADEME, la tarification incitative touchait près de 190 collectivités, représentant plus de 4,8 millions d’habitants au niveau de la France qui compte une population de près de 67 millions d’habitants, soit à peine 7% de la population. Ainsi, la tarification incitative demeure une mesure à la marge.

En attendant que certaines mentalités évoluent, n’oubliez pas, si les ordures ménagères coûtent à la société, les recyclables quant à eux rapportent.

L’association TRI SELECT

 

[1] Sénateur Daniel Soulage, Rapport d’information du Sénat n°571, 2010, 183p

[2] ADEME, Communiquer sur la tarification incitative, guide aux collectivités territoriales, 2014, 50p

 

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